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Bob Morane, l’aventurier contre tout guerrier. Avec mes frères, on chantait à tue-tête. Mes parents conduisaient à tour de rôle, gardant chacun une main sur le pommeau de vitesse. Une image romantique si on oublie que le WC chimique trônait religieusement entre le fauteuil du passager et celui du conducteur.
 

1984, la Grèce, le Péloponnèse, un combi Volkswagen rouge et blanc moucheté d’orangé. Mes parents l’avaient acheté en Tunisie quand ils y étaient coopérants. Maintenant que nous habitions en France, il servait aux longues virées dans les Balkans, la Galice et autres régions ensoleillées.
 

Ce jour-là, nous étions en Grèce sur une petite route ou plutôt une petite piste près d’Igoumenista, première escale du ferry en arrivant d’Italie. Le bateau avait débarqué à 6h et après une nuit en mer, rien ne vaut un bon tube d’Indochine pour réveiller les troupes. Nous avions préparé les cassettes avec mon grand frère pour l’occasion. Les postes auto-reverses n’existaient pas encore mais le plaisir d’écouter la musique en était décuplé. On aimait Indochine, c’est vous dire. On roulait depuis une ou deux heures et l’envie de goûter au soleil, au sel et au doux son des cigales hellènes devenait une torture. Trois marmots surexcités arrivent toujours à leur fin… Mon père céda le premier, il se chargea de convaincre ma mère. Une petite aire pour poser le van, avec la mer et les rochers à vingt mètres. Tu vois Carro sur la côte bleue, tu trouves que c’est beau. Alors là, tu imagines Carro sans rien autour, pas une maison, pas une once de bitume, que de la terre, des cailloux, un peu de sable et la mer bleue, bleue comme tu n’en as jamais vu, même si tu es allé en Corse. Bleue comme… Bleue comme là-bas et nulle part ailleurs.
 

Mais nous, on s’en foutait. Tout nu, on prenait nos pelles, nos seaux et on faisait des châteaux de sable, on se baignait, on attrapait des crabes et des poissons microscopiques. On a mangé les pêches achetées le matin au port, les sandwichs à la tomate devenus moites et on voulait que l’été dure toute la vie. L’histoire ne s’arrête pas là, ce n’est même que le début. Ce jour-là, nous n’étions pas les seuls à profiter de l’endroit. Il y avait aussi l’ermite, un homme nu, comme nous. Quand on l’a vu avec mes frères, on n’a pas eu peur, on s’est dit qu’il était lui aussi en vacances, comme nous. Mais il s’est approché. Là, on faisait moins les fiers. Il avait la tête de ceux qui ont une arrière-grand-mère criminelle, une tête pas très catholique, ni même très orthodoxe. Mes parents sont allés vers lui. Ils parlaient grec mes parents, ils avaient appris dans une association. L’homme est reparti et la journée a suivi son cours.

En fin d’après-midi, des nuages plus ou moins noirs sont apparus, suivaient l’orage, le tonnerre et les éclairs. Nous sommes vite rentrés dans le van, accompagnés par les mouches. Il faisait sombre. Nous avions fini les tomates et les pêches et nous avions encore faim. Bonjour le début des vacances. Quand est-ce qu’on rentre ? Je suis sûr qu’il fait beau à la maison. Maman, j’ai faim, j’ai faim, j’ai faim.

 

Trois petits coups au carreau, puis trois autres… Il était revenu, l’ermite. Il nous ramenait nos seaux oubliés sur la plage. Mais il n’avait toujours pas trouvé ses habits. De toutes façons, il valait mieux avec ce temps, ils seraient tout mouillés ses habits. Mon père ouvrit la portière coulissante du combi. L’homme posa les seaux. Ils étaient remplis d’arapèdes, d’oursins, de moules, de crabes, de couteaux. Il nous a montré la cuisinière du doigt. Une casserole, de l’huile d’olive et une gousse d’ail. Le meilleur repas de ma vie, avec Bob Morane.

Texte de Cédric Seston

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